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Des amendements sont actuellement discutés devant l’Assemblée Nationale afin d’améliorer le dispositif des « aviseurs fiscaux » mis en place fin 2016.
Une mission d’information de la commission des finances a même rendu un rapport en juin 2019 sur les modifications possibles à apporter.
Pourtant, les lanceurs d’alerte, qui ont notamment inspiré le dispositif, ne pourront toujours pas en bénéficier. Retour sur la carence du système.

Le sujet des aviseurs fiscaux refait surface à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2020.

Il s’agit de ces personnes qui peuvent être rémunérées par l’administration fiscale en échange de renseignements fournis concernant de potentielles fraudes fiscales à grande échelle.

Des amendements sont examinés actuellement par la Commission des finances de l’assemblée nationale pour améliorer ce dispositif.

Rappelons que le dispositif des aviseurs fiscaux avait été réintroduit en 2017 à titre provisoire puis finalement pérennisé en 2018 à l’occasion de la loi du 23 octobre 2018 n°2018-898 relative à la lutte contre la fraude.

Récemment, une mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale s’est penchée sur le dispositif et a identifié des points d’amélioration dans un rapport déposé le 5 juin 2019.

Malheureusement, il n’est rien dit de l’incohérence originelle du mécanisme : son application pour les seuls renseignement fournis après la mise en place du dispositif.

Pour bien comprendre la problématique, il faut revenir dans le passé.

En 2016, éclate le scandale des Panama Papers. Un Consortium international de journalistes d’investigation – ICIJ en anglais) révélait des pratiques de fraude fiscale à grande échelle et à dimension internationale.

Ce n’était pas le premier scandale de ce type mais celui-ci a eu une onde de choc plus importante que les précédents sur l’opinion.

En effet, avant, il y avait eu notamment les Luxembourg Leaks en 2014, puis les « Swiss Leaks » en 2015 mais également les révélations sur l’affaire UBS qui avaient commencé dès 2008 aux Etats-Unis.

Toujours est-il qu’en 2016, on commença à s’intéresser aux lanceurs d’alerte à l’origine de ces révélations.

Un cas émergea alors parmi d’autres, celui de Stéphanie Gibaud qui avait participé à l’enquête judiciaire visant le géant bancaire UBS. Celle-ci avait mis sa vie en danger, avait été licenciée à la suite des révélations et vivait (déjà à l’époque) des minima sociaux.

C’est dans ce contexte de prise de conscience qu’on va commencer à légiférer sur un statut de lanceurs d’alerte. Mais surtout, c’est à ce moment-là qu’on va mettre en place de manière provisoire et expérimentale le dispositif permettant de rémunérer les aviseurs fiscaux.

Effectivement, il avait été observé que les personnes révélant des agissements frauduleux se retrouvaient très souvent complètement ostracisées à la suite de ces révélations. Il fallait donc pouvoir les indemniser pour qu’elles puissent continuer à vivre normalement.

Le nouveau dispositif, introduit par amendement en 2016 (article 109 de la loi de finances 2016-1917 du 29 décembre 2016) permit ainsi à l’administration fiscale d’« indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu’elle lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d’un manquement » à certaines règles et obligations relatives à la fiscalité internationale.

Les lanceurs d’alerte avaient dû se réjouir de cette disposition à l’époque. Enfin, ils allaient pouvoir être indemnisés après avoir agi dans l’intérêt général. Peut-être pourraient-ils finalement essayer de retrouver un semblant de vie normale grâce à ce dispositif ? L’Etat les avait compris.

Néanmoins, c’était sans compter sur l’ironie du destin ou même peut-être l’ironie humaine.
Car, pour les détails techniques d’application, il fallait un arrêté d’application. Ce fut chose faite le 21 avril 2017. Un arrêté précisa donc entre autre que « seuls les renseignements fournis à l’administration postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi (…) peuvent donner lieu à rémunération ».

Stupeur alors pour les personnes concernées. Pourquoi avoir restreint le champ d’application du dispositif aux seuls renseignements fournis après la loi ? Envolés les espoirs des lanceurs d’alerte, finis les rêves de retour à une vie « presque » normale, l’arrêté cantonnait (et cantonne toujours) l’indemnisation aux seuls renseignements fournis « postérieurement » à la loi.

Les lanceurs d’alerte qui avaient inspiré le dispositif pouvaient donc aller se rhabiller, ce texte n’était pas pour eux car ils avaient fourni des renseignements avant la mise en place du dispositif.

C’est cette carence originelle du système qui semble critiquable car on ne peut d’un côté se réjouir de la régularisation de milliards d’euros d’avoirs de comptes étrangers (comme c’est le cas pour l’affaire UBS par exemple), et d’un autre complètement ignorer les personnes qui ont permis leur recouvrement.

Cette incohérence n’a pas été relevée dans le rapport d’information de la commission des finances qui a été déposé le 5 juin 2019.

Il semble pourtant que cette restriction temporelle devrait être supprimée. Il serait possible de le faire par amendement pour modifier le texte même de la loi mais également par voie règlementaire.

Reste à savoir si dans cette dernière hypothèse, le Ministre de l’action et des comptes publics le ferait.

Antoine Reillac
Avocat à la Cour